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La pulsion et la sexualité humaine

Christian Hoffmann


On va commencer par un exempleclinique. Celui d’un petit enfant qui ne dormait pas la nuit. Sa mère me raconte que son enfant est d’une grande beauté et qu’elle l’aime tellement qu’elle se lève la nuit pout l’admirer. Il suffisait qu’elle saisisse dans l’analyse que son enfant la réveille la nuit pour se faire l’objet de la satisfaction (la jouissance) de la pulsion scopique (le regard) de sa mère, pour que le symptôme insomniaque de l’enfant disparaisse.

C’est ce qui a conduit Freud dans le cadre de la cure par la paroleà forger le concept de pulsion. Strachey a traduit ce terme par « instinct », alors qu’il s’agit précisément d’une variété de manque auquel,contrairement au besoin, aucun objet spécifique ne répond : il n’y a pas que la nourriture pour répondre à notre faim, on peut aussi dévorer une femme du regard. Et même là où lesein donne satisfaction au besoin de l’enfant, il n’est pas dit que ce dernier soit forcément satisfait de cette satisfaction. Nous avons des descriptions de Karl Abrahamsur l’impossibilité de la satisfaction, qui nous incitent à souscrireà la formule de Lacan selon laquelle c’est son insatisfaction que, repu, l’enfantécrase dans le sommeil. Si la relationentre l’homme et la femme avait un caractère simplement biologique qui laisse le partenaire sexuel à son indétermination, comme c’est le cas dans le règne animal, alors l’Œdipe se réduirait en effet à une mésaventure infantilequi doit disparaître et céder sa place à la phase proprement génitale. Tel est effectivement le point de vue d’un bon nombre d’analystes. Selon eux, le névrosé est quelqu’un qui s’attarde à une phase prégénitale, orale, anale ou sadomasochiste, où la libido reste accrochée à un objet partiel. Par conséquent, il reste incapable de reconnaître l’autre, au sens de la femme pour l’homme, ou de l’homme pour la femme, dans sa totalité personnelle, avec le respect qui lui est dû à ce titre. Du coup, la distinction entrele génital et le prégénital se superpose à celle du normal et du pathologique. Lacan remarque qu’aucun partenaire sexuel ne se contente d’être pour l’autre l’objet de son besoin, ce à quoi le réduit son statut strictement biologique, pas plus qu’il ne se contente d’êtrel’objet de son simple amour,sa satisfaction résideen ce qu’il soit l’objetd’un manque, oui mais d’un manque dont il seraitla cause. Quel manque ? Avant de répondre à cette question, il faut dire que la notion de manque n’est pas une innovation lacanienne, elle fait la substance même de la pulsionfreudienne. En effet, on sait que selon Freud, la pulsion orale vise ce qu’il appelle la première satisfaction. Donc l’objet de cette pulsion n’est pas simplement le sein mais le sein en tant qu’il a été la source d’une satisfaction marquée, selon l’expression de Lacan, de l’empreinte de la première fois. En d’autres mots, le sein fonctionne comme la cause du désir oral pour autant qu’il a fait l’objet d’un sevrage ou, plus exactement, d’une coupure subie par le sujet comme d’une partie de lui-même. Au niveau anal, il y a aussi la perte réelle d’une partie qui se détache du corps propre. Aux objets anal et oral Lacan ajoute le placenta, Lacan a soutenuil y a près d’un demi-siècle, que le placenta qui médiatise la relation entre la mère et son embryon de façon à ce que dernier puisse se nourrir et se développer fait partie de l’enfant, au sens d’être constitué de ses propres tissus plutôt que de ceux de lamère. Nous pouvons constater des régressions à cet état de l’enfant avec son placenta dans le ventre de la mère. C’est une régression à une relation d’objet où l’objet est perdu, il est perdu comme une partie de soi, cette perte constitue un manque et elle cause de désir de re-trouver cet objet. Ce qu’on peut constater à travers ce nouveau symptôme des adolescents qui s’enferment pendant des semaines et des mois dans leur chambre avec leur nourriture. C’est une régression au placenta.


Nous pouvons voir ainsi que le désir est aussi un manque, mais un manque différent du besoin. Nous venons aussi de voir que la cause de ce manque se trouve dans une perte de l’objetoral, anal ou le placenta. Noussommes restés au niveau des objets prégénitaux, cad avant la génitalité. Qu’est-ce qui se passe avec la pulsion dite génitale ? Nous rejetons la conception qui la réduit à un besoin dont le but est la perpétuation de l’espèceet qui trouve son objet naturel dans l’autre sexe. Au niveau du désir sexuel, la question qui se pose est celle de savoir par quel biais s’introduit un autre manqueque celui qui est lié au besoin. Lacan répond par la métaphore paternelle.


Une métaphore est une substitution d’un mot à un autre dont la caractéristique est qu’elle engendreun nouveau sens. La métaphorequi substitut la lune à la femmene repose pas sur la ressemblance. Si ressemblance il y a, elle est plutôt l’effet de la métaphore en tant qu’elle prête à l’apparition de la femmeune clarté qui se répand dans la nuit de la vie. On a parlé du sens de la substitution métaphorique. On peut y ajouter que la métaphore touche aussi le mot auquel elle se substitut. Par exemple, si on prend la métaphore de toute à l’heure, celle de la femme-lune, on peut dire, que la lune devientune planète souriante. On peut maintenant s’interroger sur la métaphore paternelle et son rapport au nom du père. Nous admettons que du fait de l’immaturité qui marque l’être humainà sa naissance, l’expérience vécueavec la mère prend chez l’enfant le sens d’une relation à la toute- puissance dont il dépend pour sa survie. La question est de savoir comment se structure le désir au moment où l’enfant est, si l’on peut dire, surpris par la sexualité précoce. On remarque alors que cette apparition se double de la perception d’un désir sexuel chez la mère. Le nom du père intervient comme le nom qui répond du désir maternel ou comme son signifiant. La substitution de ce signifiant, avec sa chargesymbolique, à un désir, celuide la mère, qui apparaîtrait autrementcomme un désir que rien ne limite, engendre chez le sujet un effet de sens, que les grecs ont su reconnaître dans sa valeursymbolique et sacré: c’est le phallus, en tant que signification de la fécondité, du pouvoir, bref, de tout ce sur quoi porte notre désir. Ce qui veut dire que l’objet tire sa valeur du désir qui se porte sur lui, comme dans l’amour.


On touche ici à la portée symbolique du nom du père, en tant qu’il constitue non seulement le signifiant du désir de la mère mais aussi du lien qui noue ce désir à l’interdiction de la jouissance sexuelle de l’enfant. Rappelons encore une fois que le caractère novateur de la notion de pulsion est que son objet est foncièrement perdu. La pulsion génitale est le centre auquel les objets régressifs ou prégénitaux puisent leur sexualisation ou, plus précisément, leur phallicisation fantasmatique, car nous ne pouvons pas dire que la pulsion génitale est un instinct dont l’existence va vers la copulation entre les sexes. Le problème est que l’homme comme la femme sont parfaitement équipés pour accomplir la fonction de reproduction à laquelle ils sont destinés en tant qu’êtres vivants, et on ne voit pas d’où viendrait ici lemanque.


Freud a introduit le manque par l’interdiction de la jouissance, et il a fait de la perte produite par cette interdiction le désir essentiel de l’homme. Ferenczi est allé jusqu’à mettre le caractère éminemment nostalgique ou, si l’on préfère, régressifdu désir au cœur même de la nature. Maisil reste que cette conception de l’objet du désir ne tient pas assez compte de ce fait que le désir humain est d’abord désir d’être l’objet du désir de l’Autre, avant d’en devenir le sujet désirant à son tour. L’on peut cependant considérer l’insistance de Freud sur le caractère psychique de la phase phallique comme une indication qui va dans ce sens de la reconnaissance du phallus comme un signifiant du manque, à savoir là où le désir se signifie. C’est ce dont Lacan tient expressément compte en forgeantsa théorie de la métaphore paternelle.


Ainsi,sur la route du retourde vacances de cet été, au volant de sa voiture, une mère demande à sa fille de lui donner un bonbon. La fille lui répond par une contre-demande en l’interrogeant sur ce qu’elleveut comme bonbon.La mère à son tour lui dit : « celui que tu préfères » Quenous apprend cet échange entremère et fille ? ». La mère à une envie de satisfaction pulsionnelle orale, mais qu’est-ce qu’elle demande à sa fille? Elle lui demande de lui donner de son désir, qui lui-même répond au désir de la mère à travers sa demande. Autrementdit : « Que veut-elle?» pour se satisfaire. Son désir. Nous pouvons alors nous poser la question: où est l’objet ? Le désirn’est pas un objet, pourtant il fait l’objetd’une demande de satisfaction pulsionnelle. Il reste à comprendre comment se développent les désirs masculinet féminin au regard de la fonctionphallique. Cette questionfait partie de ce qu’on appelle l’érotologie freudienne,ou « La théorie psychanalytique de l’Eros ». Ce que MoustaphaSafouan développe dans son livre : La psychanalyse. Après avoir rappeler que la pulsion n’a pas de lien naturel au sexe de l’objet. La pulsion affiche une indépendance radicale à l’objet. Dès Les trois essaissur la théorie sexuelle de Freud, la pulsion vient de l’objet perdu que Freud identifie à une perte corporelle vécue sur le plan narcissique, comme nous venons de le voir. Le vrai problème, dit-il, surgit avec la phase phallique où il n’y a pas de dommage corporel,ni de blessure narcissique. La phase phallique est contemporaine de l’Œdipe et que c’est par la castration que le désirant s’allège du narcissisme en reconnaissant la dette symbolique au sein de son être.

’est la métaphorepaternelle de Lacan, qui vient remanier ce complexed’Œdipe de Freud en déplaçantson centre vers la fonction phallique. En somme, cette relecture lacanienne de l’Œdipe se centre autour de la fonction phallique(où de la castration) qui détermine le désir,par le manque qui engage l’être et l’avoir. Resteà savoir comment le sujet réaliseainsi son désir comme hétéroou homo indépendamment de son sexe. Concernant « le désir masculin », rappelons que « La principale découverte de la psychanalyse » sur l’identification sexuelle de l’homme concerne « la castration symbolique » (le manque insoluble dans le narcissisme) sans laquelle il n’aura aucune chance de faire l’amour, et c’est ce qu’exprime bien la formulation de Lacan : « Il n’est pas sans l’avoir ». Concernant le « Le désir au féminin », M. Safouan se sert de deux arguments : la femme est prise de façon contingente dans la fonction phallique, à savoir que « le langagefait de la femme l’hétéros par excellence », et que « la castration ne s‘applique pas positivement à son corps ». Reste la questionde l’existence d’une jouissance féminine Autre que celle de la jouissance phallique, où elle prend sa part. Sa démonstration reconnaît à la femme du fait de son rapport à la créativité la possibilité d’unejouissance « supplémentaire » à celle de la finitude de la jouissance phallique.


Hoffmann C., psychanalyste, professeur honoraire à l’Université de Paris (Département d’études psychanalytiques-Paris Diderot). Auteur de plusieur souvrages, dont certains avec Moustapha Safouan.

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